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EAN : 9782070445646
288 pages
Gallimard (26/01/2012)
4.08/5   98 notes
Résumé :
En août 1963, Kenzaburô Oé, alors brillant écrivain de vingt-huit ans, part à Hiroshima faire un reportage sur la neuvième Conférence mondiale contre les armes nucléaires. Indifférent à la politique politicienne, il est immédiatement sensible aux témoignages des oubliés du 6 août 1945, écartelés entre le « devoir de mémoire » et le « droit de se taire » : vieillards condamnés à la solitude, femmes défigurées, responsables de la presse locale et, surtout, médecins lu... >Voir plus
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A presque 30 ans, le jeune Kenzaburo Oé, acclamé pour ses premières oeuvres littéraires, se rend à Hiroshima presque vingt ans après le largage de la bombe atomique par les Américains. Au départ observateur journalistique qui couvre la 9ème conférence annuelle de partis divers qui débattent sur l'après de ce jour funeste, Oé va finir par revenir chaque année, touché par les témoignages toujours plus nombreux des victimes oubliées aussi bien du monde que du gouvernement japonais...

Ces notes de voyages, d'interviews et de rencontres ont l'intérêt marqué de donner une voix internationale aux oubliés d'Hiroshima : les victimes, passées, présentes et futures. Plusieurs éléments montrent à quel point ces dernières sont passées au second plan pendant de trop longues années :
- les Etats-Unis ont décrété à tort et sans expérience en 1945 que toutes les morts qu'il devait y avoir suite à l'attaque nucléaire avaient eu lieu ;
- le monde s'est concentré sur la puissance de l'objet, son pouvoir d'annihilation et de dissuasion, pas sur ses retombées médicales au-delà de celles qui sont immédiates ;
- le nombre de victimes n'a jamais vraiment pu être déterminé correctement vu le nombre de morts qu'on ne savait vraiment attribuer ou non aux radiations, voire la non prise en compte de tous les suicides des victimes qui ont choisi de ne pas mourir à petit feu ;
- le gouvernement n'a pas su mettre en place/autoriser l'envoi de médecins dans des régions reculées comme Okinawa où de nombreuses victimes étaient rentrées après l'attaque et de nombreuses victimes sont restées sans traitement approprié ;
- le pays s'est plus ou moins muré dans un silence pendant dix ans avant même d'organiser des cérémonies du souvenir et des conférences pour mettre en place des aides financières et médicales aux victimes ;
- aucune réelle occasion n'a été donnée aux victimes de pouvoir vraiment s'exprimer, pour celles d'ailleurs qui le souhaitaient alors que beaucoup ne voulaient que passer à autre chose le plus vite possible...
Les destins terribles de nombreuses victimes sont abordés, des histoires sordides et tristes, amères et toujours fatales, développés dans le concept de dignité propre au pays, d'entraide et aussi un peu d'espoir.
En fond, ce livre est plus ou moins aussi un appel à l'abolition des armes nucléaires ou du moins à leur régulation, que réclament chaque année les victimes. La politique, encore une fois, fait beaucoup traîner les choses. On le voit dès le premier chapitre qui montre des partis politiques divers incapables de s'entendre sur de la rhétorique et du vocabulaire, laissant mariner sous un soleil de plomb des manifestants pacifiques qui veulent simplement qu'une chose pareille ne se reproduise jamais.
Doit-on d'ailleurs rappeler qu'il aura fallu attendre 1968, 23 ans après les faits, pour que la majorité des pays à l'exception d'Israël, de l'Inde, du Pakistan et du Soudan signent un traité de non-prolifération de l'arme nucléaire ? Et, encore pire, qu'il aura fallu attendre 2017 soit 72 ans, sept décennies !!, pour la signature par 70 pays (sur 194 !!) d'un traité qui interdit l'arme nucléaire mais ratifié pour l'instant que par 24 ? Sachant que les pays qui la détiennent n'ont même pas signé ce dernier traité d'ailleurs. Évidemment. "Je suis un pays qui a l'arme nucléaire, c'est pas bien, faut pas qu'elle prolifère ailleurs, mais je la garde, hein ??" Hypocrisie quand tu nous tiens, va...
Pour en revenir à nos moutons, si la cause est légitime, la parole donnée justice et le témoignage de l'atrocité toujours en cours nécessaire, Oé fait preuve de tellement de répétitions que c'en devient très vite lassant. On comprend très vite le courage, l'abnégation, la dignité (notion longuement développée) des victimes et de leurs médecins qui ne savent plus quoi faire ; on intègre très vite tous ces destins meurtris qui se ressemblent, les décisions de vie ou de mort, la tentative de continuer malgré la maladie, le handicap, la mort qui plane constamment au-dessus des têtes. Au bout d'un moment c'est tellement tout le temps la même chose, avec une succession de témoignages et d'hommages aux médecins que c'est plus possible. C'est en ça que cet ouvrage peut décevoir, car il relate plus qu'il n'analyse voire critique ouvertement et vertement. En fait, ça manque d'implication et d'opinions personnelles.
En bref, le message passe mais la forme aurait pu être améliorée.
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En 1963, le futur prix Nobel de Littérature Ôe Kenzaburô n'est âgé que de 28 ans – pourtant, il est déjà un écrivain reconnu, récompensé par le prix Akutagawa cinq ans plus tôt ! Sur le plan personnel, toutefois, il est alors dans une mauvaise passe – notamment du fait de la naissance de son fils Hikari, lourdement handicapé, et dont les chances de survie paraissent très faibles. C'est dans ce contexte difficile qu'il se voit confier par une revue la tâche de couvrir la neuvième Conférence mondiale contre les armes nucléaires, à Hiroshima – la ville ravagée par le premier bombardement atomique de l'histoire de l'humanité, dix-huit ans seulement auparavant. le romancier se fera journaliste – et connaîtra là-bas une expérience tenant presque de la révélation religieuse, et qu'il sera amené à reporter sur le tragique cas de son frêle enfant.



Ces deux événements conjoints décident en effet pour une large part de la carrière ultérieure de l'auteur – qui mettra sans cesse en scène un père confronté au handicap de son enfant, tout en éclairant cette relation au prisme d'une éthique supérieure que l'auteur a décelé dans la vie même des hibakusha, les victimes irradiées du bombardement atomique. Mais, au-delà de la seule littérature de fiction, les voyages accomplis par l'auteur à Hiroshima entre 1963 et 1965 (il y en aura bien d'autres par la suite) décident également de son engagement militant : il a trouvé, dans le sort des hibakusha, une cause qu'il fait dès lors sienne, et qui s'étendra progressivement – contre les armes atomiques, contre la guerre, contre le nucléaire civil, contre le révisionnisme, etc. Les Notes de Hiroshima, qui compilent les sept reportages rédigés entre 1963 et 1965, agrémentés d'une introduction et d'une conclusion, sont dès lors un titre crucial dans la bibliographie de l'auteur : le reportage « de commande » est tôt devenu passionnel, vibrant, et le lecteur le ressent dans sa chair, comme sans doute l'auteur lui-même ; la communication de cette puissante émotion n'est pas le moindre atout de ce livre étonnant.



Le reportage initial, en août 1963, est pourtant passablement désolant. le tableau dressé par Ôe Kenzaburô est même parfaitement navrant – et hélas pas si surprenant ? C'est que la Conférence mondiale, qui a lieu tandis que se négocie un traité de désarmement partiel qui accroît en fait les tensions idéologiques, est aussitôt victime de dissensions – avant même son ouverture officielle ! En effet, les « socialistes » (entendre les pro-soviétiques) et les « communistes » (entendre les pro-Chinois) ne peuvent pas se blairer et se foutent sans cesse sur la gueule ; l'autre grande faction présente à la conférence est syndicaliste, et plus indécise (les conservateurs, à l'initiative du PLD, ont leur propre organisme, absent de la Conférence). Mais ces trois sous-groupes sont semble-t-il d'accord sur un point : ils considèrent que, le pire du pire, ce sont les syndicats étudiants... Et j'ai l'impression que le jeune auteur est plutôt de leur bord (sans surprise ?). Quoi qu'il en soit, ces petits cons n'étaient pas prévus au programme, mais improvisent pourtant une intervention sur le vif – alors les « communistes » font appel à la police, laquelle charge les jeunots en train de chanter L'Internationale… Par la suite, pendant des décennies, les factions antagonistes ne se réuniront plus – chacune tenant son propre événement, dans des villes et à des dates différentes. Oui, le tableau est navrant – cocasse à sa manière, mais navrant.



Mais Ôe Kenzaburô remarque que tout ceci ne prend nullement en compte les victimes du bombardement atomique, les hibakusha. le jeune auteur a la conviction qu'ils devraient être au centre des événements, mais, dans les faits, on les ignore largement – par pudeur, par lâcheté, par mesquinerie ? L'intérêt politique seul domine, au prisme des seuls clivages idéologiques, où la mauvaise foi le dispute au fanatisme. Or les irradiés, en 1963, sont là (encore… certains d'entre eux...), sous les yeux mêmes des ardents délégués, qui ne les voient pas car, sans doute, à la vérité ils s'en moquent. Mais Ôe Kenzaburô revient à Hiroshima un an après le fiasco de la Conférence mondiale, dans l'idée de donner la parole aux victimes de la bombe ; les six mois suivants correspondront à autant de voyages et de reportages, qui déboucheront sur la publication de ces Notes de Hiroshima en 1965.



Mais Ôe Kenzaburô comprend vite que faire parler les hibakusha, même avec les meilleures intentions du monde, que sont assurément les siennes, n'est pas sans soulever quelques difficultés. de fait, pour reprendre la formule, les atomisés « sont écartelés entre le "devoir de mémoire" et le "droit de se taire" ». Ces deux tendances antagonistes sont au coeur même de la question des hibakusha. Aussi ne peut-on se contenter, quand on est un étranger à Hiroshima tel l'auteur, de débouler dans la ville avec ses gros sabots – fleur au fusil, mais fusil justement. Les bonnes intentions, comprend l'auteur, peuvent se montrer aussi agressives que les coupables maladresses de ceux qui ne perçoivent pas bien toute la portée du problème – ainsi du cas rappelé, à plusieurs reprises, de ce journaliste qui, en reportage à Hiroshima, demandait aux hibakusha ce qu'ils pensaient de son plan génial consistant à lancer deux ou trois bombes atomiques en Corée pour régler le problème…



C'est que, Ôe Kenzaburô en est convaincu, quand on n'est pas un hibakusha, on ne perçoit pas bien l'ampleur du drame qui s'est joué le 6 août 1945 à Hiroshima. Rapidement après l'explosion de Little Boy, le nom de la ville est connu dans le monde entier, et dès lors irrémédiablement associé à la bombe atomique. Mais, aux yeux de l'auteur, on n'évoquait en fait de la sorte que la puissance incroyable de l'arme nucléaire – pas la tragique réalité des malheurs qu'elle avait provoqués ; or c'est bien de cela qu'il faut parler. Il faut parler des victimes de Hiroshima comme on parle des victimes d'Auschwitz (sans qu'il s'agisse de faire la course entre les deux cauchemars, espérons-le) : et, à en croire Ôe Kenzaburô, ce n'est tout simplement pas le cas au milieu des années 1960.



Pour cela, il ne faut pas seulement parler des victimes, mais parler avec elles, et leur laisser la parole – si elles le souhaitent, donc. Or la censure américaine pendant l'occupation, puis la pudibonderie intéressée des autorités japonaises ensuite, ont instauré une chape de plomb sur les événements de Hiroshima – parler de tout cela était difficile, sinon impossible. Exceptionnellement, un Hara Tamiki (voyez Hiroshima, fleurs d'été) avait pu s'exprimer, mais la « littérature de la bombe atomique » (genbaku bungaku) des premiers temps rencontrait bien des difficultés avant publication – la mairie même de Hiroshima, sous la pression des politiques, soucieux de ne pas déplaire à l'ami américain, avait dû renoncer à faire paraître un éloquent recueil de témoignages. Cette censure plus ou moins franche, un journaliste du nom de Kanai la subissait de plein fouet, et il s'était dédié à la dénoncer. C'est un des « héros » de ce livre, d'autant que son activisme dépassait le seul champ journalistique.



L'autre héros, plus marquant encore, est le Dr Shigetô, irradié lui-même, et qui mène les opérations au sein de « l'hôpital de la bombe atomique » à Hiroshima ; lui et ses collègues mènent les premières recherches sur les séquelles du bombardement atomique – et notamment sur les très nombreux cas de leucémie qui ont suivi, dans un contexte de totale ignorance, ou presque, quant aux effets de l'irradiation. Au-delà des soins apportés aux victimes – il en meurt toujours plus, des hibakusha à proprement parler, mais aussi leurs enfants, pas encore nés le 6 août 1945, et c'est bien là le plus terrible dans cette histoire (Ôe Kenzaburô conclut son essai en mentionnant les récits de science-fiction apocalyptiques où la génétique même des hommes est bouleversée par l'holocauste nucléaire) –, au-delà des seuls soins, donc, l'approche scientifique du problème implique de se livrer à des études statistiques, rendues compliquées par le manque d'implication des autorités ; d'autant qu'elles semblent ne pas « comprendre » que le problème dépasse les seules villes de Hiroshima et Nagasaki : les hibakusha ont pu bouger après le drame – ils sont nombreux à avoir gagné Tôkyô, Ôsaka, que sais-je, et, dans ces villes, on ne sait rien du mal des atomisés, on ne le prend pas en compte car on ne sait tout simplement pas de quoi il s'agit ! Il n'y a en effet aucune communication ou presque à cet égard dans la communauté médicale, les articles sont rares, et l'administration plus que frileuse... La situation est encore pire à Okinawa : les Ryûkyû sont toujours sous le contrôle des Américains à cette époque… Et lesdits Américains, à Hiroshima même, ont certes mené des études sur les effets de l'irradiation, avec une institution dédiée, mais à relativement court terme, et dans une perspective purement « documentaire », disons, détachée de tout soin. Les hommes tels que Kanai ou Shigetô se battent sur tous ces fronts – pour comprendre, pour informer, pour traiter, pour prévenir.



Cependant, si l'admiration de l'auteur pour ces deux hommes et quelques autres vibre dans ces pages, la révélation peu ou prou mystique de Ôe à Hiroshima est d'un autre ordre – c'est au contact des autres hibakusha, les plus ou moins anonymes, qu'elle s'accomplit. Les femmes défigurées par les chéloïdes qui tiennent la revue Hiroshima no kawa, par exemple... Ce vieil homme alité dans son hôpital, mais qui sort brièvement pour bénir la Conférence mondiale contre les armes nucléaires – en laquelle il voudra croire jusqu'au bout... Ce jeune homme qui, malgré la leucémie, travaille comme un fou, avec une application presque maniaque – mais qui épouse aussi une jeune femme, tous deux sachant qu'il ne fera pas long feu…



De fait, la veuve se suicide rapidement après le décès prévisible de son époux. Dans un autre lit de l'hôpital, il y a cet autre vieil homme qui a multiplié les tentatives, échouant toujours et, bougon, contraint d'attendre que la maladie l'emporte. La question du suicide s'immisce dans le drame de Hiroshima – inévitablement. Et pas seulement, supposé-je, en raison d'une morbidité censément particulière à la culture japonaise (je vous renvoie à La Mort volontaire au Japon, de Maurice Pinguet), même si Ôe Kenzaburô note qu'il est heureux, si l'on ose dire, que Hiroshima ne soit pas une ville de culture chrétienne – vilipendant le suicide comme une atteinte inqualifiable aux droits du créateur… Les hibakusha ont le droit de partir comme ils le souhaitent. Mais ce n'est pas seulement cela, donc – peut-être sa connaissance de la littérature française contemporaine et de la philosophie notamment existentialiste a-t-elle joué ? Je ne m'y connais guère pour ma part, et dis donc peut-être des bêtises, mais, à la lecture de certains passages de ces Notes de Hiroshima, j'ai pensé, du moins, aux mots de Camus dans le Mythe de Sisyphe : « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. » Et il s'agit bien, pour Ôe Kenzaburô, d'un problème philosophique – et à dimension morale. Car l'auteur, sans condamner le moins du monde ceux qui se suicident (et il rapporte avec émotion et compassion bien des cas, on l'a vu), voue une profonde admiration à « ceux qui ne capitulent jamais ».



Son expérience de Hiroshima le bouleverse dans ses conceptions morales – et il écrit pour partie au moins dans l'espoir que d'autres vivent à sa suite la même expérience. C'est qu'il a trouvé, en la personne des hibakusha, l'archétype même de la « dignité humaine » ; par surprise – il n'est pas dit qu'il croyait auparavant qu'une telle chose puisse exister. Mais oui : les irradiés sont l'humanité dans ce qu'elle a de plus « authentique », un qualificatif qui revient souvent – notamment, mais pas seulement, pour désigner l'excellent Dr Shigetô. Leur souffrance, et la variété de leurs réponses à cette souffrance, sont autant d'exemples à bien appréhender – c'est dans leur abnégation que l'auteur croit reconnaître ce qui devrait, à ses yeux, constituer, s'il en faut une, l'essence même du Japon. La communication de leur expérience n'en est que plus salutaire – et Ôe Kenzaburô est d'autant plus disposé à répandre l'évangile muet des irradiés que ces échanges avec autant de morts en sursis (une humanité au carré, sous cet angle ?) ont rejailli sur sa situation personnelle : le rapport à Hikari, l'enfant handicapé, et qui ne survivra probablement pas…



(Non seulement il survivra – il est toujours vivant à ce jour –, mais il deviendra un compositeur apprécié.)



On adhérera, ou pas, à ce discours. Pour ma part, il est bien des points, dans l'argumentaire d'Ôe Kenzaburô, qui me laissent au mieux sceptique – peut-être en partie parce que je n'ai pas un Hikari sous les yeux, certes. Je n'ai en tout cas pas fait d'expérience m'amenant à appréhender de la sorte la dignité humaine – et n'attache pas de plus-value éthique à l'abnégation de « ceux qui ne capitulent jamais » ; quand le discours de l'auteur verse un tantinet dans l'essentialisme, même connoté positivement, je ne peux tout simplement pas le suivre – et son insistance sur le caractère « unique » et pire que tout du drame de Hiroshima ne me convainc pas toujours, a fortiori quand l'auteur met Auschwitz dans la balance.



Cependant, tout cela n'est absolument d'aucune importance – car cela ne m'empêche pas de saisir combien Notes de Hiroshima est un grand livre, et un beau livre. Il est ici un point sur lequel je me dois d'insister : à la lecture de ce seul compte rendu malhabile, on pourrait croire que la philosophie de l'auteur mériterait bien des guillemets – qu'elle ne serait finalement qu'un énième et fade avatar de tant de « perles de sagesse » à dix balles, comme en commettent tant de pseudo-sages pseudo-littérateurs, les Paulo Coehlo, les Bernard Werber, les Pierre Rabhi dans un autre registre, tous les tâcherons du « développement personnel » et j'en passe. Rien de plus faux : la réflexion d'Ôe Kenzaburô dans ce livre est bien autrement subtile, d'une manière que je ne saurais tout simplement pas rendre dans pareil compte rendu de lecture.



Mais il est un autre élément à prendre en compte, crucial à mes yeux : Notes de Hiroshima est un grand livre au plan littéraire – il est bien l'oeuvre d'un grand écrivain. Dans la forme comme dans le fond, ce livre vibre d'une passion de tous les instants – l'émotion résonne dans le style, et l'ensemble émeut profondément ; non pas sur le mode d'un pathos presse-bouton (le sujet même n'était pas sans risque à cet égard), mais avec une sincérité parfaite et admirable. J'y ai trouvé, alors que je ne m'y attendais pas vraiment, la valeur proprement littéraire qui m'avait échappé, récemment, dans Hiroshima, fleurs d'été de Hara Tamiki.



Notes de Hiroshima est un très beau livre – plus subtil qu'il n'en a l'air, et puissamment émouvant. Sous le reportage journalistique perce l'expérience philosophique qui décide d'une carrière, et d'une vie familiale. Un ouvrage très touchant, et probablement crucial dans la bibliographie du jeune alors Ôe Kenzaburô, bien loin de deviner sans doute qu'il serait un jour le second prix Nobel de Littérature japonais – or les Notes de Hiroshima ont probablement leur part dans cette prestigieuse récompense.
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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"Hiroshima nôto" (notes de Hiroshima) paraît en 1965. Alors jeune écrivain, Kenzaburo Oé se rend à Hiroshima pour assister à la 9ème Conférence contre les armes atomiques. L'évènement est décevant, et les dissensions entre les participants nombreuses. L'écrivain prend peu à peu ses distances et va alors se rapprocher des hibakusha (terme sous lequel on désigne les victimes des bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki). Ces rencontres vont profondément le marquer. Au travers des témoignages recueillis, Kenzaburo Oé va faire le choix d'écrire leur histoire au travers de récits, de notes et de réflexions.

Ainsi, comment a-t-il été possible de bombarder des populations civiles, d'organiser leur anéantissement avec une arme atomique ? Au-delà des terribles séquelles physiques et psychologiques, l'auteur va chercher à comprendre quelles ont été les premières intentions des victimes, passé le terrible effroi qu'elles ont ressenti à l'instant de l'explosion de la bombe. Il cherche également à voir comment s'organisent les premiers secours dans ce paysage de dévastation. Sans beaucoup de moyens, civils et médecins agissent avec une volonté surhumaine, une obstination à se relever qui semble dépasser la mort elle-même.

Interroger l'Histoire pour comprendre aussi quelles ont été les actions du pouvoir politique japonais d'alors avec ses manquements, ses errements dans l'aide aux victimes. Comprendre également l'influence des autorités américaines en place après la capitulation de septembre 1945.

Kenzaburo Oé interroge le présent mais aussi l'avenir : qu'avons-nous tous retenu de cet évènement tragique? Hiroshima et Nagasaki font aujourd'hui partie de nos manuels d'histoire. Les images d'archives des deux villes en champs de ruines, les clichés des victimes, le visage et le corps marqués par les brûlures et les radiations, recevant des soins marquent nos esprits. Oui, qu'avons-nous retenu de ces évènements tragiques ? Les moyens et les conditions d'une paix dans le monde semblent aujourd'hui aller de soi. Hiroshima et Nagasaki semblent comme une parenthèse refermée dans L Histoire...

Sans doute nous souvenir que les conditions d'une paix dans le monde sont encore aujourd'hui instables, qu'il nous faut sans cesse revenir aux témoignages des victimes, des rescapés, des médecins (comment oublier dans ce récit le rôle du docteur Shigetô?) mais aussi à tous ces êtres bouleversants qui n'ont pas pu, pas su se relever des bombardements... Dans ce récit, Kenzaburo Oé nous donne à comprendre un humanisme certes fragile, mais bien réel. Une lecture vraiment édifiante.
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En 1965, Kenzaburô Oé se rend à Hiroshima pour écrire une série d'articles autour de la Conférence contre la prolifération des armes nucléaires qui s'y tient. Un voyage grave à plus d'un sens. Pour l'auteur, c'est prendre de la distance avec un vécu personnel bouleversant, la naissance de son fils handicapé, et se plonger dans un univers opaque, insondable: Hiroshima vingt ans après les bombes. Que reste t'il de la ville? Beaucoup. Et rien. Et dans la brèche: le surgissement furieux de la vie et de la dignité humaine.

Ce qui ne devait être qu'un voyage professionnel, et le suivi de conférences autour de l'armement nucléaire, à l'époque des essais de la Chine, allait devenir un parcours initiatique au pays de la résistance humaine, des ressources de ceux qui « restent ».

Hiroshima, c'est l'histoire d'un combat, de la résistance de milliers de victimes, dont le sort mis des années à être reconnu. En 1945, un communiqué de la commission de l'armée américaine annonce officiellement que « Tous ceux qui devaient mourir des suites de la radioactivité dégagée par l'explosion atomique sont morts, et on ne constate plus d'influence physiologique des radiations résiduelles ». Occupé pendant sept ans par l'armée américaine, le Japon allait connaître la censure autour de ces dommages pourtant inédits et mal connus, et il allait falloir attendre 1954 pour que le terme « hibakusha » apparaissent pour désigner les « atomisés ».

Face à ce silence, à ce déni, ce sont des milliers de malades, non pris en charge, non accompagnés, qui allaient mourir, à Hiroshima et autour, dans l'incompréhension, ou pire, dans l'appréhension de ce qui pouvait arriver par la suite….en témoigne cette histoire d'un homme atomisé, qui plutôt que d'attendre ressentir en lui les signes terribles de la dégénérescence allait préférer mettre fin à ses jours que de vivre sous une telle épée de Damoclès. le suicide. Ils furent des centaines à le préférer plutôt qu'aux regards de pitié ou de crainte, sur leurs corps suppliciés et déformés.

Vivre. Mourir. Suicide. Survie. Vie.

Primo Levi, en évoquant ces souvenirs de camps de concentration dans « Si c'est un homme » souligne également la question difficile du témoignage, et de l'impossibilité de parler exactement d'un événement où les seuls à même de parler de l'horrible exactitude de la chose sont morts. Qui parlera pour les hommes morts dans les camps? Ceux qui n'ont pas été libérés? Qui parlera pour les hommes morts dans le foyer même de choc de la bombe? Qui saura ce qu'il s'est passé au point d'impact?

Avec les radiations, les données deviennent encore plus vicieuses….la mort s'infiltrant lentement dans le corps..Ôé évoque le courage de ces médecins irradiés le jour du bombardement, restant sur place malgré les risques pour soigner les blessés, luttant contre une échéance déjà infiltrée dans le corps du patient mais aussi du médecin.

Ôé cite cette phrase d'Albert Camus, extraite de « La Peste« et qui sera notre conclusion…Ce qui m'intéresse…c'est de savoir comment on devient un saint. – Mais vous ne croyez pas en Dieu. – Justement. Peut-on être un saint sans Dieu, c'est le seul problème concret que je connaisse aujourd'hui« .

Emma Breton
Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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Ce livre est la compilation de plusieurs articles écrits par Kenzaburo Oé (prix Nobel 1994) à partir de 1963, sur Hiroshima et les "hibakusha", les victimes des armes nucléaires. C'est donc un essai et l'émotion est retenue, sobre. L'auteur raconte, décrit mais surtout analyse, ce qui s'est passé et ce qui se passe encore (dans les années 1960), et c'est ce qui est le plus intéressant. Par exemple le peu de moyens déployés pour aider les hibakusha, l'hôpital dépendant de fonds privés et non de l'Etat, l'ignorance des médecins hors Hiroshima confrontés à des hibakusha souffrant des effets de la radiation (leucémie et autre). Il s'étend longuement sur la dignité de la population, sur le dévouement des médecins et pourtant, en parallèle, cite un nombre très élevé de suicides, surtout chez les jeunes. L'auteur n'exprime aucune haine ou revendication contre les Américains, ce qui m'a laissée perplexe. D'accord, c'était la guerre, mais quand même, ce n'était pas un accident nucléaire, quelqu'un (le président Truman ?) a réellement décidé et approuvé ce bombardement nucléaire, sur des civils ! c'est inimaginable, inhumain, absolument écoeurant. A peine l'auteur fustige-t-il, comme en passant, l'attitude d'un dignitaire japonais approuvant plusieurs années après, la remise de médaille à un chef militaire américain impliqué dans la décision du bombardement ! On est loin des plaidoyers victimaires d'aujourd'hui ; le souci de l'auteur se porte clairement sur l'action positive, l'aide aux victimes et la lutte contre les armes nucléaires.

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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Le Code de la presse, instauré le 19 septembre 1945 à l'initiative du quartier général de MacArthur, interdisait toute diffusion d'informations ou de commentaires relatifs aux deux bombardements atomiques, que ce soit dans la presse, au cinéma, à la radio ou, de façon plus générale, par l'image et par la parole. Ce Code resta en vigueur jusqu'en 1952, année du retour du Japon à l'indépendance après sept années d'occupation américaine. Une autocensure plus larvée, mais tout aussi contraignante, continua ensuite de régner au Japon, et ce n'est qu'en 1954, que commença à être reconnu aux hibakusha* le droit de s'exprimer publiquement sur leur expérience de la bombe.

p. 96

(*) terme qui désigne les victimes des bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 août 1945.
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Pour les gens qui continuent de vivre à Hiroshima, ne pas taire cette tragédie absolue de l'histoire de l'homme, ne pas la rejeter dans l'oubli, mais en parler au contraire, l'étudier, la consigner, est un acte pesant qui demande des efforts surhumains. Les personnes extérieures à Hiroshima sont incapables de mesurer à sa juste valeur la somme de tous les sentiments - et d'abord la répugnance - qu'il faut surmonter pour accomplir cette tâche. Qu'on songe simplement que l'initiative de parler, d'étudier, de consigner ce drame, vient précisément des seuls qui ont le droit d'oublier Hiroshima, et de l'enfouir dans le silence.
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Après une semaine passée dans cette ville, j'avais révisé de fond en comble mon attitude à l'égard de ma vie personnelle. Ce qui allait aboutir également à une transformation radicale de ma propre littérature. Une semaine avait donc suffi pour que se produise ce revirement si décisif -qui représente à mes yeux une véritable "conversion", abstraction faite de la connotation religieuse que l'on peut donner à ce terme. A présent, trente-deux ans plus tard, je reconnais de nouveau le poids et la profondeur de cette expérience
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Des centaines de personnes, portant des vêtements en lambeaux à moitié calcinés, sont parvenues à grand-peine jusqu'au dispensaire, en traînant la jambe. J'avais beau leur demander ce qui s'était passé, tout le monde ne faisait que répéter la même chose: "Il y a eu un éclair aveuglant, un fracas épouvantable, les maisons se sont effondrées, les gens se sont mis à flamber comme des torches, on ne comprend pas ce qui est arrivé." Nous étions suspendus à leurs lèvres, mais alors même qu'ils parlaient, ils s'écroulaient soudain et mouraient les uns après les autres. A quoi comparer cela ? La seule image qui venait à l'esprit, c'était celle des figures infernales de l'Ôjô Yôshû.
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Mais peut-on imaginer plus effrayant, plus grotesque que la conception "insouciante" des hommes forts de la politique, persuadés que l'être humain, même précipité dans le bourbier le plus infect, arrivera toujours, d'une façon ou d'une autre, à s'en tirer tout seul ? Est-il une foi en l'humanisme plus abjecte que celle-là ?
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